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Page:Cavallucci - Bibliographie critique de Marceline Desbordes-Valmore, tome 1.pdf/376

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POÉSIES INÉDITES DE 1860

« On l’a cru jaloux, littérairement parlant. Il ne l’a jamais été. Mais injuste, prévenu, oh ! oui. Sa colère et son dédain étaient si grands, quand il se détrompait d’un talent, d’une vertu, d’une beauté dont la découverte et la croyance l’avaient rempli de joie ! Après, quelle ironie contre sa propre simplicité ! Comme il se déchirait d’avoir été volé, disait-il, par lui-même ! Il souffrait beaucoup ; croyez-le et ne l’oubliez jamais. Il s’attendrissait d’une fleur et la saluait d’un respect pieux. Puis, il s’irritait d’oublier qu’elle est périssable. Il levait les épaules et la jetais dans le feu. C’est vrai.

« La politique ardente n’a-t-elle pas beaucoup aigri l’aménité native mêlée à son énergie ? Je l’ai souvent pensé. Un désintéressement incorruptible, qui lui eût fait supporter la misère sans une plainte, l’a rendu sans pitié pour les faiblesses de l’ambition, ou l’indolence qu’il appelait crime dans le sentiment patriotique. Le secret de ses grandes solitudes est peut-être là.

« La patience minutieuse au travail était portée chez lui à un excès fatal à sa santé, comme à ses succès. Il s’y clouait en martyr. On eût dit alors (je le sais par d’autres que moi) que son cœur et sa tête s’emplissaient par degrés de fumée, et qu’elle étouffait quelquefois l’élan, l’abandon, le fluide, l’inspiration, que c’était alors comme une lampe qui n’a pas d’air. Si je dis mal ce qu’il me semble, vous devinerez le dessous. Ce n’est pas de faire de la critique, mon Dieu ! Mais c’est plaindre son malheur et sa torture !

« Son enthousiasme pour la littérature allemande et pour la transformation de la nôtre l’a beaucoup subjugué. Depuis j’ai osé m’étonner que sa poésie, bien qu’élégante, mais cérémonieuse peut-être, se fût à peine dégagée de l’esclavage dont il avait horreur, comme le prouvaient ses transports d’admiration pour les hardiesses cavalières de M. de Musset et les nouveautés de vous tous, qui le ravissaient d’espérance !

« Depuis lors, je n’ai plus rien su de distinct, ni pu regarder de près ce génie, devenu si amer. C’est par échos lointains, rares, tristes aussi, qu’il nous cherchait. Son livre de Clément XIV nous a rappelé ses entretiens les plus charmants avec mon