Page:Chénier - Poésies choisies, ed. Derocquigny, 1907.djvu/57

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le chevrier

                          Hélas ! que je te trouve à plaindre
Oui, l’esclavage est dur ; oui, tout mortel doit craindre
De servir, de plier sous une injuste loi,
De vivre pour autrui, de n’avoir rien à soi.
Protège-moi toujours, Ô liberté chérie !
Ô mère des vertus, mère de la patrie !

le berger

Va, patrie et vertu ne sont que de vains noms.
Toutefois, tes discours sont pour moi des affronts :
Ton prétendu bonheur et m’afflige et me brave ;
Comme moi, je voudrais que tu fusses esclave.

le chevrier

Et moi, je te voudrais libre, heureux comme moi.
Mais les dieux n’ont-ils point de remède pour toi ?
Il est des baumes doux, des lustrations pures
Qui peuvent de notre âme assoupir les blessures,
Et de magiques chants qui tarissent les pleurs.

le berger

Il n’en est point ; il n’est pour moi que des douleurs :
Mon sort est de servir, il faut qu’il s’accomplisse.
Moi, j’ai ce chien aussi qui tremble à mon service ;
C’est mon esclave aussi. Mon désespoir muet
Ne peut rendre qu’à lui tous les maux qu’on me fait.

le chevrier

La terre, notre mère, et sa douce richesse
Ne peut-elle du moins égayer ta tristesse ?
Vois combien elle est belle ! et vois l’été vermeil,
Prodigue de trésors brillants fils du soleil,
Qui vient, fertile amant d’une heureuse culture,
Varier du printemps l’uniforme verdure ;
Vois l’abricot naissant, sous les yeux d’un beau ciel,
Arrondir son fruit doux et blond comme le miel ;