Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t1.djvu/44

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cier d’une opinion si flatteuse, et n’aspirer en effet qu’au mérite de la discrétion ?

Au milieu de ces vaines intrigues, Molière, s’élevant au comble de son art et au-dessus de lui-même, songeait à immoler les vices sur la scène, et commença par le plus odieux. Il avait déjà signalé sa haine pour l’hypocrisie : la chaire n’a rien de supérieur à la peinture des faux dévots dans le Festin de Pierre. Enfin, il rassembla toutes ses forces, et donna le Tartuffe. C’est là qu’il montre l’hypocrisie dans toute son horreur, la fausseté, la perfidie, la bassesse, l’ingratitude qui l’accompagnent ; l’imbécillité, la crédulité ridicule tle ceux qu’un Tartuffe a séduits ; leur penchant à voir partout de l’impiété et du libertinage, leur insensibilité cruelle, enfin l’oubli des nœuds les plus sacrés. Ici le sublime est sans cesse à côté du plaisant. Femmes, enfans, domestiques, tout devient éloquent contre le monstre ; et l’indignation qu’il excite n’étouffe jamais le comique. Quelle circonspection, quelle justesse dans la manière dont l’auteur sépare l’hypocrisie de la vraie piété ! C’est à cet usage qu’il a destiné le rôle du frère. C’est le personnage honnête de presque toutes ses pièces ; et la réunion de ses rôles de frère formerait peut-être un cours de morale à l’usage de la société. Cet art, qui manque aux satires de Boileau, de tracer une ligne nette et précise entre le vice et la vertu, la raison et le ridicule, est le grand mérite de Molière. Quelle connais-