Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t3.djvu/251

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art, alors si célèbre, d’orner le vice, de le revêtir de l’agrément des manières, de toutes les grâces de l’esprit ; de lui prêter la séduction d’une amusante légèreté, qui tourne en passe-temps le mal qu’elle fait et jouit du scandale qu’elle cause : talent fort estimé des descendans de l’ancienne chevalerie, et par lequel Richelieu était devenu l’objet de l’émulation générale. Il pouvait se flatter d’être le meilleur élève du fameux comte de Grammont, ou plutôt d’Hamilton, son historien. Ce livre a été long-temps, comme on sait, le bréviaire de la jeune noblesse. C’est lui qui a le plus contribué à fonder en France une école d’immoralité prétendue agréable, et d’une perversité réputée charmante. Réussir auprès des femmes fut d’abord le premier mérite ; les tromper fut le second ; et, comme tous les arts vont en se perfectionnant, les livrer au déshonneur et à la dérision publique devint la jouissance la plus délicieuse. C’est ce qui paraît inconcevable ; mais ce n’est pas tout ; le comte de Grammont étendit beaucoup les bornes de l’art et les ressources du talent ; celui de friponner au jeu devint une gentillesse parmi les adeptes ou les concurrens ; et enfin la science fut portée au comble par l’admission des friponneries de toute espèce, et même de la filouterie. C’était pousser un peu loin les droits de l’honneur français ; mais, d’un autre côté, c’était lui faire d’illustres et de nombreux partisans ; c’était appeler à son secours tous les ennemis de