Page:Chamfort - Pensées, Maximes, Anecdotes, Dialogues, éd. Stahl.djvu/27

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les poëtes d’un temps qui n’en eut guère que de médiocres.

Après ce jugement de Voltaire, nous placerons celui que Grimm, qui n’avait pas l’indulgente impartialité du génie, porta, de son côté, sur ce nouveau venu.

Il va sans dire qu’obligé d’enregistrer le succès, il s’efforça d’y mêler des épines.

« M. de Chamfort est jeune, d’une jolie figure, ayant l’élégance recherchée de son âge et de son métier. Je ne le connais pas d’ailleurs ; mais, s’il fallait deviner son caractère d’après sa petite comédie, je parierais qu’il est petit-maître, bon enfant au fond, mais vain, pétri de petits airs, de petites manières, ignorant et confiant à proportion ; en un mot, de cette pâte mêlée dont il résulte des enfants de vingt à vingt-cinq ans, assez déplaisants, mais qui mûrissent cependant, et deviennent, à l’âge de trente à quarante ans, des hommes de mérite. S’il ne ressemble pas à ce portrait, je lui demande pardon ; mais j’ai vu tous ces traits dans son Marchand de Smyrne. Pour du talent, du vrai talent, je crains qu’il n’en ait pas ; du moins, son Marchand n’annonce rien du tout, et ne tient pas plus que la Jeune Indienne ne promettait autrefois. »

Ce jugement n’est, du reste, que la paraphrase de celui de son ami Diderot. L’esprit de Chamfort n’est pas de ceux que la bienveillance de ses rivaux doit tout d’abord accueillir. Vif, emporté, agressif, il avait pour ennemis naturels tous ceux qui craignaient de ne l’avoir pas pour ami. Quant à ce qui est de la fatuité que l’un lui suppose, et que l’autre, plus libéral, lui accorde tout d’abord, on s’explique ce reproche. C’était l’accusation nécessaire contre les succès de l’homme et de sa jolie figure, plutôt que contre ceux de l’écrivain. « M. Chamfort, disait Diderot,