Page:Champsaur - Homo-Deus, Ferenczi, 1924.djvu/9

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vers Passy, souple et silencieuse, à peine trahie par l’imperceptible ronflement d’un moteur bien réglé. Le conducteur aperçut le gardien de la paix veillant sur le cadavre allongé sur le trottoir et, probablement, intéressé par ce spectacle, arrêta sa machine. Il considéra la loque humaine étendue. L’agent crut saisir des paroles échangées avec une personne qui devait se trouver à l’intérieur de la voiture, des mots bizarres, brefs, en langue étrangère. Mais il ne tarda pas à se persuader qu’il avait été le jouet d’une illusion, car, s’approchant, il constata que l’auto était vide.

Cependant, le nouveau venu ne s’en allait pas, semblait porter à la contemplation du cadavre un intérêt étrange.

— Vous regardez ce pauvre bougre ? fit l’agent. Nous l’avons trouvé mort, sur ce banc, mon collègue et moi.

Il disait cela parce qu’il éprouvait une envie irrésistible de parler, pour chasser l’émotion ressentie. Au surplus, l’automobile était luxueuse ; le mécanicien était au service — cela ne faisait aucun doute — de gens très bien ! Mais, à sa grande stupéfaction, le chauffeur ne lui répondit pas. Alors, le brave Hector vit qu’il avait une drôle de figure basanée, presque noire, entourée d’un turban de soie, des traits ascétiques et des oreilles ornées de boucles d’or. Il n’eut que le temps de se jeter en arrière : la portière, brusquement ouverte, avait failli lui heurter le visage. Or, cette portière s’était ouverte toute seule, puisqu’il n’y avait personne dans la voiture, et que le chauffeur hindou tenait à deux mains son volant ! L’agent, vaguement inquiet, retourna près du cadavre.

A cette minute, se produisit un événement extraordinaire, miraculeux, tragiquement effarant, qui devait rester à jamais incompréhensible pour le malheureux gardien de la paix. On eût dit, à ce moment, que, sous la voûte des marronniers, les ténèbres s’étaient subitement épaissies. La lumière clignotante du bec de gaz se couchait sous une bouffée d’air froid, faisant tout autour les ombres vacillantes. Et, sous les yeux épouvantés de l’agent, — le mort