Page:Charles Peguy - Cahiers de la Quinzaine 3e serie vol 1-4 - Jaurès -1901.djvu/14

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ce serait si elle ne se produisait pas que je serais malade, que j’aurais quelque maladie de la mémoire.

— Il me semble, me répondit Pierre Baudouin, que vos réponses préliminaires ne sont pas étrangères à la philosophie de M. Bergson.

— Je l’avoue et vous pouvez être assuré que ce qu’il y a de bien dans ce que je vous dis vient de lui, et que ce qu’il y a de mal, s’il y a quelque mal vient de moi.

Pierre Baudouin. — Je n’y ai point vu de mal.

— J’ai peur, dit Pierre Deloire, que ce ne soient des faux-fuyants.

Moi. — J’ai lu attentivement les rares livres de ce véritable philosophe et je suis assidûment son cours au Collège de France.

Pierre Baudouin. — Vous m’y avez toujours trouvé.

Moi. — Le vendredi à quatre heures trois quarts : et je suis assuré que c’est l’heure la mieux employée de ma semaine.

— Je ne suis pas philosophe, répondit Pierre Deloire, et je ne vais pas à ce cours.

— Vous avez tort, dit un peu vivement Pierre Baudouin. Vous n’êtes pas un honnête homme, au sens que nous conservons soigneusement à ce nom, si vous n’avez pas entendu et si vous n’entendez pas les leçons, le cours et même la conversation de ce véritable philosophe. Je n’ai nullement pour lui cette amitié respectueusement hostile dont l’entourent la plupart de nos jeunes agrégés. Je suis peiné quand un candidat sociologue au doctorat es lettres éprouve le besoin de renoncer un peu hautement et un peu sec un enseignement qui est la plus grande beauté du temps présent. Parce que je garde envers ce rare philosophe la liberté