Page:Charles Peguy - Cahiers de la Quinzaine 3e serie vol 1-4 - Jaurès -1901.djvu/238

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vouloir établir un gouvernement de la raison. Il ne peut y avoir, il ne doit y avoir ni ministère, ni préfecture, ni sous-préfecture de la raison, ni consulat ni proconsulat de la raison. La raison ne peut pas, la raison ne doit pas commander au nom d’un gouvernement. Faire ou laisser opérer par un préfet des perquisitions dans la chambre d’une institutrice, quand même le préfet serait un préfet républicain, quand même l’institutrice ne serait pas une institutrice républicaine, ce n’est pas attenter à la liberté seulement, c’est attenter à la raison. La raison ne demande pas, la raison ne veut pas, la raison n’accepte pas qu’on la défende ou qu’on la soutienne ou qu’on agisse en son nom par les moyens de l’autorité gouvernementale. En aucun sens la raison n’est la raison d’État. Toute raison d’État est une usurpation déloyale de l’autorité sur la raison, une contrefaçon, une malfaçon.

En particulier la raison ne procède pas de l’autorité militaire. Elle ignore totalement l’obéissance passive. C’est trahir la raison que de vouloir assurer la victoire de la raison par la discipline qui fait la force principale des armées. C’est faire déraisonner la raison que de l’enseigner par les moyens militaires. La raison ne demande pas, n’accepte pas l’obéissance. On ne commande pas au nom de la raison comme on commande à la manœuvre. Il n’y a aucune armée de la raison, aucuns soldats de la raison, et surtout il n’y a aucuns chefs de la raison. Il n’y a même, à parler proprement, aucune guerre de la raison, aucune campagne, aucune expédition. La raison ne fait pas la guerre à la déraison. Elle réduit tant qu’elle peut la