Page:Charles Peguy - Cahiers de la Quinzaine 3e serie vol 1-4 - Jaurès -1901.djvu/239

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déraison par des moyens qui ne sont pas les moyens de la guerre, puisqu’ils sont les moyens de la raison. La raison ne donne pas des assauts ; elle ne forme pas des colonnes d’attaque ; elle n’enlève pas des positions ; elle ne force pas des passages ; elle ne fait pas des entrées solennelles ; ni elle ne couche comme le vainqueur militaire sur le champ de bataille.

La raison ne procède pas de l’autorité religieuse. Il fallait une insanité inouïe pour oser instituer le culte de la déesse Raison. Et si l’on peut excuser une insanité dans un temps d’affolement, déclarons-le haut : la froide répétition politique de cette insanité, la commémoration concertée de cette insanité constitue l’indice le plus grave d’incohérence ou de démence, de déraison. Non la raison ne procède pas par la voie du culte. Non la raison ne veut pas d’autels. Non la raison ne veut pas de prières. Non la raison ne veut pas de prêtres. C’est trahir le plus gravement la raison, c’est faire déraisonner le plus gravement la raison que de la déguiser en déesse, en cabotinage et musique ; c’est la trahir que de lui fabriquer des fêtes religieuses, des imitations en simili-culte, avec tout ce qu’il faut. Et même l’admirable prière que Renan fit sur l’Acropole après qu’il fut parvenu à en comprendre la parfaite beauté n’a plus aucun sens, lue ou déclamée sur les planches devant la foule inépuisablement trompée.

Déclarons-le sans peur. Et sachons nous faire les ennemis qui voudront. La raison ne veut aucune Église. Il ne peut pas, il ne doit pas y avoir une Église de la raison. Les pratiques cérémonielles, cultuelles et