Page:Charles Peguy - Cahiers de la Quinzaine 3e serie vol 1-4 - Jaurès -1901.djvu/243

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librement au cœur du même homme. Le problème sera transposé. Car nous n’avons jamais dit que nous supprimerions les problèmes humains. Nous voulons seulement, et nous espérons les transporter du terrain bourgeois, où ils ne peuvent recevoir que des solutions ingrates, sur le terrain humain, libre enfin des servitudes économiques. Nous laissons les miracles aux praticiens des anciennes et des nouvelles Églises. Nous ne promettons pas un Paradis. Nous préparons une humanité libérée.

Les chefs audacieux et les foules blasées, les meneurs menés, les candidats et les électeurs trouveront sans doute que ce programme est insuffisant. Mais nous savons par l’histoire de l’humanité, par l’histoire des sciences, des arts, de la philosophie, qu’un changement de plan est un événement, une opération considérable. Dans tous les genres de travail deux progrès sont ouverts. On peut d’abord avancer par évolution en continuant dans le même sens. Mais il vient presque toujours un moment où le travailleur a l’impression que le sens est épuisé : aucune application, aucune insistance ne peut plus tirer du réel ce que le réel n’a plus dans le sens commencé. Des vies entières consommées dans un travail ingrat ne rendraient plus ce qu’elles coûteraient. Alors intervient la révolution. Vu d’ailleurs, attaqué d’ailleurs, le réel recommence brusquement à couler à pleins bords. Et pourtant le réel est le même qu’il était. Mais il n’est plus vu du même regard, il n’est plus vu le même, il n’est plus connu le même. C’est ainsi que nous sommes révolutionnaires. Nous voulons que la même humanité se donne la liberté nouvelle.