Page:Charles Peguy - Cahiers de la Quinzaine 3e serie vol 1-4 - Jaurès -1901.djvu/252

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, et souverain seigneur de toutes choses ; ne fondons pas une religion qui nous interdirait de prononcer même un nom dont le moins que l’on puisse dire est qu’il a eu quelque fortune dans l’histoire de l’humanité. La raison ne procède pas de l’autorité presbytérale. Une religion de la raison cumulerait tous les vices religieux avec tous les envers des vertus rationnelles. Ce serait un cumul rare, singulier, culminant, unique de vices communément inconciliables, habituellement séparés, logiquement contradictoires. Ce serait comme une gageure de cumulation. Un catéchisme est insupportable. Mais un catéchisme de la raison tiendrait en ses pages la plus effroyable tyrannie. À la fois parodie et texte.

La raison ne procède pas plus des autorités officieuses que des autorités officielles. Ni le publiciste, ni le journaliste, ni le tribun, ni l’orateur, ni le conférencier ne sont aujourd’hui de simples citoyens. Le journaliste qui a trente ou cinquante ou quatre-vingts milliers de lecteurs, le conférencier qui a régulièrement douze ou quinze cents spectateurs exercent en effet, comme le ministre, comme le député, une autorité gouvernementale. On conduit aujourd’hui les lecteurs comme on n’a pas cessé de conduire les électeurs. La presse constitue un quatrième pouvoir. Beaucoup de journalistes, qui blâment avec raison la faiblesse des mœurs parlementaires, feraient bien de se retourner sur soi-même et de considérer que les salles de rédaction se tiennent comme les Parlements. Il y a au moins autant de démagogie parlementaire dans les journaux que dans les assemblées. Il se dépense autant d’autorité dans un