Page:Charles Peguy - Cahiers de la Quinzaine 3e serie vol 1-4 - Jaurès -1901.djvu/257

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ont eu de la tendance à retomber dans l’ancien automatisme. Ainsi la conservation recommençait, la tradition renaissait avec la matière même que lui fournissait la révolution. Mais jamais comme aujourd’hui le mouvement révolutionnaire n’a été amorti en des formes aussi traditionnelles, aussi conservatoires. Par une étrange inconséquence, ou par une étrange insuffisance de pensée, le précédent constitué par la Révolution française, par la grande révolution bourgeoise, a fasciné les révolutionnaires socialistes, les fascine aujourd’hui plus que jamais. Les journées de 1830, les doubles journées de 1848, les mois de la Commune ont contribué à former, ont complété comme un code révolutionnaire. Jamais comme aujourd’hui les partis révolutionnaires, les comités, les commissions, les congrès, les conseils n’ont été liés, ne se sont liés, ne se sont figés, n’ont lié leurs commettants et leurs commis par autant de cérémonial, par autant d’étiquette, par autant d’habitude, par autant de protocole, par autant de tradition, par autant de conservation.

Par une ingratitude mentale singulière, les gouvernements révolutionnaires, les autorités socialistes opposent à la raison, à la liberté, dont ils sont nés, des traditions supplémentaires, des conservations surencombrantes. La raison ne doit se soumettre à ces traditions onéreuses ni parce qu’elles sont traditionnelles, ni parce qu’elles sont révolutionnaires. Imiter les anciens révolutionnaires, les vieux révoltés, ne consiste pas à penser en face du monde que nous connaissons identiquement les pensées qu’ils avaient en face du monde qui leur était contemporain. Mais c’est les imiter bien