Page:Charles Peguy - Cahiers de la Quinzaine 3e serie vol 1-4 - Jaurès -1901.djvu/260

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doit s’inspirer de la raison, se guider sur la raison, se modeler sur la raison. Il ne faut pas qu’après avoir souffert de notre négligence le peuple aujourd’hui soit déformé par notre complaisance. Il ne faut pas qu’ayant souffert de l’ignorance où il était laissé, il soit aujourd’hui déformé par un demi-savoir, qui est toujours un faux-savoir. C’est l’immense danger de l’enseignement primaire, à programmes encyclopédiques indigestes, c’est encore plus l’immense danger de l’enseignement primaire supérieur, c’est au plus haut degré l’immense danger et l’immense difficulté des universités populaires. Des individus admirablement dévoués, parfaitement sages, des personnes entendues, préviennent, évitent le danger, tournent, surmontent la difficulté, mais elles sont aussi les premières à les avoir mesurés. Ceux qui aiment le primaire, les instituteurs et le peuple, au lieu de les exploiter, en sont justement soucieux.

Ce serait fausser irréparablement l’esprit du peuple, ce serait donc trahir la raison la plus nombreuse, faire déraisonner la raison la plus nombreuse, encourager l’insanité générale, cultiver la démence et semer à pleines mains la déraison que de faire ou de laisser croire au peuple des travailleurs manuels, aux différents degrés de l’enseignement primaire, que le travail de la raison obtient ses résultats sans peine, sans effort et sans apprentissage. D’autant plus que le peuple sait fort bien, le peuple admet fort bien, mieux que les bourgeois, le peuple connaît par son expérience professionnelle que dans aucun ordre du travail manuel on n’obtient des résultats gratuits, donnés. Dans tous les métiers manuels tout le monde sait qu’il faut qu’on