Page:Charles Peguy - Cahiers de la Quinzaine 3e serie vol 1-4 - Jaurès -1901.djvu/397

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pressent que les socialistes seront appelés au pouvoir, que les empereurs mêmes seront contraints de les y appeler : et les socialistes ne se refuseront pas à cette revanche partielle, ils ne se refuseront pas à cette oeuvre partielle. Prêts à tirer le plus large parti de la révolution si elle est déchaînée par quelque cataclysme national, ils sont prêts aussi à entrer dans l’évolution si c’est sous la forme de l’évolution que les destins s’accomplissent. Ils sont prêts, dans l’intérêt de la nation et dans l’intérêt du prolétariat, à être les ministres du kaiser.

Par quel phénomène extraordinaire, par quelle contradiction inexplicable, l’homme qui, en 1881, en pleine ferveur de combat révolutionnaire, avait pensé, médité, écrit ces pages fortement travaillées, par quel prodigieux renversement d’idées ce même homme a-t-il condamné aussi âprement l’entrée d’un socialiste français dans un gouvernement bourgeois ?

Je me risquerai seulement à conjecturer que son erreur dans l’affaire Dreyfus avait faussé sa vue pour les événements qui en étaient la suite. Presque seul dans la démocratie socialiste allemande, il avait mal jugé le fond même de l’affaire, et il en avait méconnu le sens politique et social : dès qu’il était engagé dans une pensée, dans une voie, il y persévérait avec une inflexibilité que son