Page:Charles Peguy - Cahiers de la Quinzaine 3e serie vol 1-4 - Jaurès -1901.djvu/398

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isolement même aggravait. Plus il était seul, plus il s’obstinait à avoir raison ; c’était l’envers inévitable de ses qualités souveraines de fermeté, d’élan et de confiance. Donc tout ce qui se rattachait par un lien historique à une agitation qu’il avait désapprouvée lui était suspect ou importun. Ainsi l’application de sa méthode de 1881 se produisant en France, dans des circonstances qui l’irritaient, il ne reconnut pas, dans la marche des choses, sa propre pensée.

Essaiera-t-on d’en diminuer la valeur en disant qu’il n’avait point publié son oeuvre ? Pris par le tourbillon de l’action, surchargé des tâches quotidiennes, il ne l’avait point achevée. Mais il ne l’a ni détruite ni désavouée. Peut-être avait-il jugé qu’il serait imprudent de livrer à l’ennemi le secret de sa pensée, de la tactique entrevue pour l’avenir. Peut-être encore fut-il quelque peu déconcerté par les événements qui suivirent la chute de Bismarck. Ce grand ennemi du chancelier en a toujours grossi et pour ainsi dire satanisé le rôle. Il croyait que Bismarck entraînerait l’empire aux abîmes, le précipiterait en quelque catastrophe nationale. Bismarck fut congédié à l’extrême vieillesse sans avoir compromis par une seule imprudence la paix de l’Europe et la solidité de l’empire. Liebknecht s’imaginait qu’en Bismarck résidait, avec tout le