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son corps pourrira, que cette queue puissante retiendra toujours le cadavre. Mais c’est assez d’une victime pour aujourd’hui. Bénito, charge-toi de l’animal, dont les muletiers se régaleront ce soir, et rejoignons ton père, il pourrait s’inquiéter de notre absence. »

L’Indien s’empara du singe, qui, gros, gras, ventru, pesait fort, lourd, et la petite troupe s’éloigna, suivie à regret par d’Artagnan qui, fier de sa victoire, eût volontiers continué la lutte.

La piste de la caravane était facile à suivre pour un Indien ; Bénito ne la perdit pas un instant, et, une demi-heure plus tard, François rejoignait son père et sa sœur et leur racontait ses exploits. L’étape, du reste, était achevée et l’on préparait le campement.

Le singe eut les honneurs du jour ; c’était une grosse pièce, et Bénito était vraiment rendu de fatigue de l’avoir portée. Le pelage était long, soyeux et noir ; Sulpice voulut le conserver, d’autant que la balle, qui avait frappé en plein corps et brisé l’épine dorsale, n’avait point endommagé la peau. Pour plus de sécurité il voulut lui-même écorcher l’animal, ce qu’il s’empressa de faire en présence de Frémont, d’Éléonore et de Pancho, qui pouvait prendre là une première leçon de dissection. Sulpice, heureux de faire montre de son adresse en même temps que d’érudition, et tel qu’un professeur dans son laboratoire, tout en maniant le scalpel, prit la parole :

« Puisque tu ne veux plus entendre de noms scientifiques, commença-t-il en s’adressant à François, et que cependant tu veux connaître l’histoire de ce singe, je vais te la conter d’une façon anecdotique ; elle est intéressante. Ce Mycetes villosus… », et comme il vit son auditoire sourire, Sulpice reprit :

« Ce singe est appelé saraguato par les Mexicains, et vulgairement « singe hurleur » en français ; il est très grand, très fort, et il ne faudrait point trop compter sur ses instincts pacifiques. Christophe Colomb le rencontra pour la première fois dans la Veragua, pendant, son quatrième voyage, en 1502 ; l’arbalétrier qui avait blessé l’animal lui coupa un bras et une jambe…