Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/225

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dans le sens que nous attachons à ce mot. Ils nous ont sans doute laissé d’admirables peintures des travaux, des mœurs et du bonheur de la vie rustique ; mais quant à ces tableaux des campagnes, des saisons, des accidents du ciel, qui ont enrichi la muse moderne, on en trouve à peine quelques traits dans leurs écrits.

Il est vrai que ce peu de traits est excellent, comme le reste de leurs ouvrages. Quand Homère a décrit la grotte du Cyclope, il ne l’a pas tapissée de lilas et de roses ; il y a planté, comme Théocrite, des lauriers et de longs pins. Dans les jardins d’Alcinoüs, il fait couler des fontaines et fleurir des arbres utiles ; il parle ailleurs de la colline battue des vents et couverte de figuiers, et il représente la fumée des palais de Circé s’élevant au-dessus d’une forêt de chênes.

Virgile a mis la même vérité dans ses peintures. Il donne au pin l’épithète d’harmonieux, parce qu’en effet le pin a une sorte de doux gémissement quand il est faiblement agité ; les nuages, dans les Géorgiques, sont comparés à des flocons de laine roulés par les vents, et les hirondelles, dans l’Enéide, gazouillent sous le chaume du roi Evandre ou rasent les portiques des palais. Horace, Tibulle, Properce, Ovide, ont aussi crayonné quelques vues de la nature ; mais ce n’est jamais qu’un ombrage favorisé de Morphée, un vallon où Cythérée doit descendre, une fontaine où Bacchus repose dans le sein des naïades.

L’âge philosophique de l’antiquité ne changea rien à cette manière. L’Olympe, auquel on ne croyait plus, se réfugia chez les poètes, qui protégèrent à leur tour les dieux qui les avaient protégés. Stace et Silius Italicus n’ont pas été plus loin qu’Homère et Virgile en poésie descriptive ; Lucain seul avait fait quelque progrès dans cette carrière, et l’on trouve dans la Pharsale la peinture d’une forêt et d’un désert qui rappelle les couleurs modernes[1].

Enfin les naturalistes furent aussi sobres que les poètes, et suivirent à peu près la même progression. Ainsi Pline et Columelle, qui vinrent les derniers, se sont plus attachés à décrire la nature qu’Aristote. Parmi les historiens et les philosophes, Xénophon, Tacite, Plutarque, Platon et Pline le jeune[2], se font remarquer par quelques beaux tableaux.

On ne peut guère supposer que des hommes aussi sensibles que

  1. Cette description est pleine d’enflure et de mauvais goût, mais il ne s’agit ici que du genre, et non de l’exécution du morceau.(N.d.A.)
  2. Voyez, dans Xénophon, la Retraite des Dix-mille et le Traité de la Chasse ; dans Tacite, la description du camp abandonné où Varus fut massacré avec ses légions (Annal., liv. I) ; dans Plutarque, la Vie de Brutus et de Pompée ; dans Platon, l’ouverture du Dialogue des lois ; dans Pline, la description de son jardin. (N.d.A.)