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168 REVOLUTIONS ANCIENNES.

loient que le gouvernement découlât des mœurs ; les seconds que les mœurs fluassent du gouver- nement. Les légistes athéniens , subséquents au temps des Lycurgue et des Solon , s'énoncèrent dans le sens des modernes : la raison s'en trouve dans le siècle. Platon , Aristote , Montesquieu , Jean-Jacques vécurent dans un âge corrompu;

écrivains , que dans une soixantaine de lettres de la Nouvelle Hêloïse ( qu'il faut relire , comme je le fais à présent même , à la vue des rochers de Meillerie ) , dans ses Rêveries et dans ses Confessions. Là , placé dans la véritable nature de son talent , il arrive à une éloquence de passions inconnue avant lui. Voltaire et Montesquieu ont trouvé des modèles de style chez les écrivains du siècle de Louis XIV ; Rousseau , et même un peu Buffon dans un autre genre , ont créé une langue qui fut ignorée du grand siècle.

Il faut dire toutefois que Rousseau n'est pas aussi no- ble qu'il est brûlant , aussi délicat qu'il est passionné : le travail se fait sentir partout, et l'auteur s'aperçoit jus- que dans l'amant. Rousseau est plus poétique dans les images que dans les affections ; son inspiration vient plus des sens que de l'âme ; il a peu de la flamme divine de Fénélon ; il exprime les sentiments profonds , rare- ment les sentiments élevés : son génie est d'une grande beauté , mais il tient plus de la terre que du ciel.

Il y a aussi une espèce de monde qui échappe au pein- tre de Julie et de Saint-Preux •. il est douteux qu'il eût pu composer un roman de chevalerie. Eût-il été capable de concevoir Tancrede et Zaïre? C'est ce que je n'oserois assurer, comme, à en juger par Y Emile , je ne

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