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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/604

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Dans sa réponse, Mme de Custine essaya sans doute d’une diversion et rejeta probablement les torts sur une personne qu’elle craignait de se voir préférer et dont la perfidie aurait machiné cette dénonciation. La seconde lettre de Chateaubriand ne fut pas moins digne et moins noble que la première :


Il ne s’agit pas de comparaison, car je ne vous compare à personne, et je ne vous préfère personne. Mais vous vous trompez si vous croyez que je tiens ce que je vous ai dit de celle que vous soupçonnez. Si je le tenais d’elle, je pourrais croire que la chose n’est pas encore publique ; or ce sont des gens qui vous sont étrangers qui m’ont averti des bruits qui couraient. Il me serait encore fort égal, et je ne m’en cacherais pas, qu’on dît que je vous ai demandé un service. Mais ce sont les circonstances qu’on ajoute à cela qui sont si odieuses que je ne voudrais pas même les écrire et que mon cœur se soulève en y pensant. Vous vous êtes fort trompée si vous avez cru que Madame… m’ait jamais rendu des services dans le genre de ceux dont il s’agit[1] ; c’est moi, au contraire, qui ai eu le bonheur de lui en rendre. J’ai toujours cru, au reste, que vous avez eu tort de me refuser. Dans votre position, rien n’était plus aisé que de vous procurer le peu de chose que je vous demandais ; j’ai vingt amis pauvres qui m’eussent obligé poste pour poste, si je ne vous avais donné la préférence. Si jamais vous avez besoin de mes faibles ressources, adressez-vous à moi et vous verrez si mon indigence me servira d’excuse.

Mais laissons tout cela. Vous savez si jusqu’à présent j’avais gardé le silence, et si, bien que blessé au fond du cœur, je vous en avais laissé apercevoir la moindre chose, tant était loin de ma pensée tout ce qui aurait pu vous causer un moment de peine ou d’embarras. C’est la première et la dernière fois que je vous parlerai de ces choses-là. Je n’en dirai pas un mot à la personne, soit que cela vienne d’elle ou non. Le moyen de faire vivre une pareille affaire est d’y attacher de l’importance et de faire du bruit ; cela mourra de soi-même comme tout meurt en ce monde. Les calomnies sont devenues pour moi des choses toutes simples ; on m’y a si fort accoutumé que je trou-

  1. Est-ce à Mme de Beaumont qu’il fait allusion ? Ces suppositions de Mme de Custine auraient été bien blessantes pour Chateaubriand. Note de M. Chédieu de Robethon