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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

dans les ravins qui descendaient à la grève. Deux bricks armés croisaient, l’un sous le vent, l’autre au vent de l’île. Que de précautions pour garder un seul homme au milieu des mers ! Après le coucher du soleil, aucune chaloupe ne pouvait mettre à la mer ; les bateaux pêcheurs étaient comptés, et la nuit ils restaient au port sous la responsabilité d’un lieutenant de marine. Le souverain généralissime qui avait cité le monde à son étrier était appelé à comparaître deux fois le jour devant un hausse-col. Bonaparte ne se soumettait point à cet appel ; quand, par fortune, il pouvait éviter les regards de l’officier de service, cet officier n’aurait osé dire où et comment il avait vu celui dont il était plus difficile de constater l’absence que de prouver la présence à l’univers.

Sir George Cockburn, auteur de ces règlements sévères, fut remplacé par sir Hudson Lowe. Alors commencèrent les pointilleries dont tous les Mémoires nous ont entretenus. Si l’on en croyait ces Mémoires, le nouveau gouverneur aurait été de la famille des énormes araignées de Sainte-Hélène, et le reptile de ces bois où les serpents sont inconnus. L’Angleterre manqua d’élévation, Napoléon de dignité. Pour mettre un terme à ses exigences d’étiquette, Bonaparte semblait quelquefois décidé à se voiler sous un pseudonyme, comme un monarque en pays étranger ; il eut l’idée touchante de prendre le nom d’un de ses aides de camp tué à la bataille d’Arcole[1]. La France, l’Autriche, la Russie, désignèrent des commissaires à la résidence de Sainte-Hélène[2] : le captif était accou-

  1. L’aide de camp Muiron.
  2. Le commissaire français était M. de Montchenu ; le commis-