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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t4.djvu/146

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

vanter d’avoir obtenu dans un siècle de lumières ce que la religion tenta inutilement dans un siècle de ténèbres[1]. »

J’étais placé dans une assemblée où ma parole, les trois quarts du temps, tournait contre moi. On peut remuer une chambre populaire ; une chambre aristocratique est sourde. Sans tribune, à huis clos devant des vieillards, restes desséchés de la vieille Monarchie, de la Révolution et de l’Empire, ce qui sortait du ton le plus commun paraissait folie. Un jour, le premier rang des fauteuils, tout près de la tribune, était rempli de respectables pairs, plus sourds les uns que les autres, la tête penchée en avant et tenant à l’oreille un cornet dont l’embouchure était dirigée vers la tribune. Je les endormis, ce qui est bien naturel. Un d’eux laissa tomber son cornet ; son voisin, réveillé par la chute, voulut ramasser poliment le cornet de son confrère ; il tomba. Le mal fut que je me pris à rire, quoique je parlasse alors pathétiquement sur je ne sais plus quel sujet d’humanité.

Les orateurs qui réussissaient dans cette Chambre étaient ceux qui parlaient sans idées, d’un ton égal et monotone, ou qui ne trouvaient de sensibilité que pour s’attendrir sur les pauvres ministres. M. de Lally-Tolendal tonnait en faveur des libertés publiques : il faisait retentir les voûtes de notre solitude de l’éloge de trois ou quatre lords de la chancellerie anglaise, ses aïeux, disait-il. Quand son panégyrique de la liberté de la presse était terminé, arrivait un mais

  1. Proposition faite à la Chambre des pairs, dans la séance du 9 avril 1816, relative aux Puissances barbaresques. — Œuvres complètes, tome XXIII, p. 155.