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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

bilité de l’arracher au supplice. Il faisait déjà nuit, et il devait être fusillé au lever du jour.

Cependant, madame Récamier, bien que persuadée de l’inutilité de ses démarches, n’hésita pas. On lui amène une voiture, elle y monte sans l’espérance qu’elle laissait au condamné. Elle traverse la campagne infestée de brigands, parvient à Rome, et ne trouve point le directeur de la police. Elle l’attendit deux heures au palais Fiano ; elle comptait les minutes d’une vie dont la dernière approchait. Quand M. de Norvins arriva, elle lui expliqua l’objet de son voyage. Il lui répondit que l’arrêt était prononcé, et qu’il n’avait pas les pouvoirs nécessaires pour le faire suspendre.

Madame Récamier repartit le cœur navré ; le prisonnier avait cessé de vivre lorsqu’elle approcha d’Albano. Les habitants attendaient la Française sur le chemin ; aussitôt qu’ils la reconnurent, ils coururent à elle. Le prêtre qui avait assisté le patient lui en apportait les derniers vœux : il remerciait la dama, qu’il n’avait cessé de chercher des yeux en allant au lieu de l’exécution ; il lui recommandait de prier pour lui ; car un chrétien n’a pas tout fini et n’est pas hors de crainte quand il n’est plus. Madame Récamier fui conduite par l’ecclésiastique à l’église, où la suivit la foule des belles paysannes d’Albano. Le pêcheur avait été fusillé à l’heure où l’aurore se levait sur la barque, maintenant sans guide, qu’il avait coutume de conduire sur les mers, et aux rivages qu’il avait accoutumé de parcourir.

Pour se dégoûter des conquérants, il faudrait savoir tous les maux qu’ils causent ; il faudrait être