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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

dans ses mains les portraits de sa femme et de ses enfants : ces portraits ornaient auparavant la garde de son épée. Ce n’était qu’une affaire de plus que le brave venait de vider avec la vie.

Les genres de mort différents de Napoléon et de Murat conservent les caractères de leur existence.

Murat, si fastueux, fut enterré sans pompe à Pizzo, dans une de ces églises chrétiennes, dont le sein charitable reçoit miséricordieusement toutes les cendres.

Madame Récamier, revenant en France, traversa Rome au moment où le pape y rentrait[1]. Dans une autre partie de ces Mémoires, vous avez conduit Pie VII, mis en liberté à Fontainebleau, jusqu’aux portes de Saint-Pierre. Joachim, encore vivant, allait disparaître, et Pie VII reparaissait. Derrière eux, Napoléon était frappé : la main du conquérant laissait tomber le roi et relevait le pontife.

Pie VII fut reçu avec des cris qui ébranlaient les ruines de la ville des ruines. On détela sa voiture, et la foule le traîna jusqu’aux degrés de l’église des apôtres. Le Saint-Père ne voyait rien, n’entendait rien ; ravi en esprit, sa pensée était loin de la terre ; sa main se levait seulement sur le peuple par la tendre habitude des bénédictions. Il pénétra dans la basilique au bruit des fanfares, au chant du Te Deum, aux acclamations des Suisses de la religion de Guillaume Tell. Les encensoirs lui envoyaient des parfums qu’il ne respirait pas ; il ne voulut point être porté sur le pavois à l’ombre du dais et des palmes ; il marcha comme un naufragé accomplissant un vœu à Notre-Dame-

  1. Pie VII fit son entrée solennelle à Rome le 25 mai 1814.