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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

est donc certain que, si nous ne triomphons pas, je serai dans huit jours ou proscrit et fugitif, ou dans un cachot, ou fusillé. Accordez-moi donc, pendant les deux ou trois jours qui précéderont la bataille, le plus que vous pourrez de votre temps et de vos heures. Si je meurs, vous serez bien aise de m’avoir fait ce bien, et vous seriez fâchée de m’avoir affligé. Mon sentiment pour vous est ma vie ; un signe d’indifférence me fait plus de mal que ne pourra le faire dans quatre jours mon arrêt de mort. Et quand je sens que le danger est un moyen d’obtenir de vous un signe d’intérêt, je n’en éprouve que de la joie.

« Avez-vous été contente de mon article, et savez-vous ce qu’on en dit ? »

Benjamin Constant avait raison, il était aussi compromis que moi : attaché à Bernadotte, il avait servi contre Napoléon ; il avait publié son écrit De l’esprit de conquête, dans lequel il traitait le tyran plus mal que je ne le traitais dans ma brochure De Bonaparte et des Bourbons. Il mit le comble à ses périls en parlant dans les gazettes.

Le 19 mars, au moment où Bonaparte était aux portes de la capitale, il fut assez ferme pour signer dans le Journal des Débats un article terminé par cette phrase : « Je n’irai pas, misérable transfuge, me traîner d’un pouvoir à l’autre, couvrir l’infamie par le sophisme, et balbutier des mots profanes pour racheter une vie honteuse[1]. »

Benjamin Constant écrivait à celle qui lui avait

  1. Voir le texte de cet article au tome III, note 1 de la page 489 (note 16 du Livre IV de la Troisième Partie).