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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

inspiré ces nobles sentiments : « Je suis bien aise que mon article ait paru ; on ne peut au moins en soupçonner aujourd’hui la sincérité. Voici un billet que l’on m’écrit après l’avoir lu : si j’en recevais un pareil d’une autre, je serais gai sur l’échafaud. »

Madame Récamier s’est toujours reprochée d’avoir eu, sans le vouloir, une pareille influence sur une destinée honorable. Rien, en effet, n’est plus malheureux que d’inspirer à des caractères mobiles ces résolutions énergiques qu’ils sont incapables de tenir.

Benjamin Constant démentit le 20 mars son article du 19. Après avoir fait quelques tours de roues pour s’éloigner, il revint à Paris et se laissa prendre aux séductions de Bonaparte[1]. Nommé conseiller d’État, il effaça ses pages généreuses en travaillant à la rédaction de l’Acte additionnel[2].

Depuis ce moment il porta au cœur une plaie secrète ; il n’aborda plus avec assurance la pensée de la postérité ; sa vie attristée et défleurie n’a pas peu contribué à sa mort. Dieu nous garde de triompher des misères dont les natures les plus élevées ne sont point exemptes ! Le ciel ne nous donne des talents qu’en y attachant des infirmités : expiations offertes à la sottise et à l’envie. Les faiblesses d’un homme

  1. Dès le 6 avril 1815, le Journal de l’Empire annonça que M. Benjamin Constant était un des membres de la Commission constitutionnelle.
  2. Dans ses Mémoires sur les Cent-Jours, Benjamin prétend qu’il n’est pas l’auteur de l’Acte additionnel. « C’est jouer sur les mots, dit M. Henry Houssaye (1815, t. 1, p. 542) ; sans doute il y eut plus d’un article modifié ou ajouté par l’empereur et par la Commission, mais l’Acte additionnel, dans son ensemble, n’en est pas moins l’œuvre de Benjamin Constant. »