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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

le roi se préparait à rentrer dans son palais, moi dans ma retraite. Le vide se reforme autour des monarques sitôt qu’ils retrouvent le pouvoir. J’ai rarement traversé sans faire des réflexions sérieuses les salons silencieux et déshabités des Tuileries, qui me conduisaient au cabinet du roi : à moi, déserts d’une autre sorte, solitudes infinies où les mondes mêmes s’évanouissent devant Dieu, seul être réel.

On manquait de pain à Arnouville ; sans un officier du nom de Dubourg et qui dénichait de Gand comme nous, nous eussions jeûné. M. Dubourg alla à la picorée[1] il nous rapporta la moitié d’un mouton au logis du maire en fuite.[2] Si la servante de ce maire,

  1. « À Arnouville, nous fûmes obligés de loger chez le maire, qui, à l’approche de l’armée royale, s’était caché… On manquait de vivres : on ne trouvait plus un pain dans le village ; nous et une douzaine d’arrivants de Gand, nous mourions de faim ; la servante du maire avait mis à l’ombre toutes ses provisions et ne nous avait réservé que ses injures, dont elle n’était pas avare, quand, par bonheur, arriva un certain M. Dubourg, général de sa façon, qui, nous dit-il, avait pris nombre de villes sur son chemin : c’était le plus grand hâbleur qu’on pût voir, et il nous racontait le plus sérieusement du monde (les croyant lui-même) ses hauts faits d’armes de Gand à Paris : on les aurait trouvés incroyables dans la vie d’Alexandre ; mais cette espèce de fou nous rendit un grand service en allant à la quête et nous rapportant d’énormes morceaux de viande, de pain, etc. Je crois qu’il avait fait très militairement emplette de ces provisions ; mais, sans scrupules, nous en fîmes un déjeuner excellent. » (Souvenirs de Mme de Chateaubriand.)
  2. Nous retrouverons mon ami, le général Dubourg, dans les journées de Juillet. Ch. — Sans attendre les journées de Juillet, nous dirons ici quelques mots du « général » Dubourg, qui devait, en effet, avoir beaucoup d’histoires à raconter, car sa vie fut un vrai roman. Frédéric Dubourg-Butler, né en 1778, était, à l’époque de la Révolution, élève de marine. En 1793, il alla en Vendée faire le coup de feu dans les rangs des royalistes. Blessé et fait prisonnier, il allait être fusillé, lorsqu’il fut sauvé par une