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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Que ne mariait-il son fils aîné à quelque belle plébéienne de sa patrie ? C’eût été épouser la France : cet hymen du peuple et de la royauté aurait fait repentir les rois ; car ces rois, qui ont déjà abusé de la soumission de Philippe, ne se contenteront pas de ce qu’ils ont obtenu : la puissance populaire qui transparaît à travers notre monarchie municipale les épouvante. Le potentat des barricades, pour être complètement agréable aux potentats absolus, devait surtout détruire la liberté de la presse et abolir nos institutions constitutionnelles. Au fond de l’âme, il les déteste autant qu’eux, mais il a des mesures à garder. Toutes ces lenteurs déplaisent aux autres souverains ; on ne peut leur faire prendre patience qu’en leur sacrifiant tout à l’extérieur : pour nous accoutumer à nous faire au dedans les hommes liges de Philippe, nous commençons par devenir les vassaux de l’Europe.

J’ai dit cent fois et je le répéterai encore, la vieille société se meurt. Pour prendre le moindre intérêt à ce qui existe, je ne suis ni assez bonhomme, ni assez charlatan, ni assez déçu par mes espérances. La France, la plus mûre des nations actuelles, s’en ira vraisemblablement la première. Il est probable que les aînés des Bourbons, auxquels je mourrai attaché, ne trouveraient même pas aujourd’hui un abri durable dans la vieille monarchie. Jamais les successeurs d’un monarque immolé n’ont porté longtemps après lui sa robe déchirée, il y a défiance de part et d’autre : le prince n’ose plus se reposer sur la nation, la nation ne croit plus que la famille rétablie lui puisse pardonner. Un échafaud élevé entre un peuple et un roi