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LIVRE DEUXIÈME

pour la solitude : « Ce penchant, répétait-il, ne vient pas toujours de Dieu ; il est souvent inspiré par un dégoût du monde, dégoût dont le motif n’est pas toujours pur. »

Convaincu en ce qui regardait le danger des biens, l’abbé ne se rendait pas également sur le point du désert ; il cédait à l’égard de l’abandon de ses bénéfices : il convenait qu’un abbé commendataire n’était pas dans l’esprit de l’Église ; mais il n’entendait parler qu’avec terreur d’une abbaye régulière. Il s’était souvent écrié : « Moi, me faire frocard ! » Il témoignait de ses perplexités en écrivant à ses amis : « Mes embarras extérieurs sont les moindres embarras de ma vie : je ne puis me défendre de moi-même. »

Tout est fragile : après avoir vécu quelque peu, on ne sait si l’on a bien ou mal vécu. L’évêque d’Aleth se maintint d’abord dans les opinions qui lui avaient mérité l’attachement de Rancé ; il se souvenait d’avoir causé avec le futur solitaire à trois cents pas de la maison de l’évêque, au bord d’un gave, de même que les vieillards de Platon s’entretenaient des lois sur la montagne de Crète. Baissez le ton de la lyre, changez les interlocuteurs, et le souffle du même torrent vous apportera des paroles qui seront remplies d’autres