Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/117

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a établi en ce misérable monde ici-bas
un nombre de jours et une certaine durée
à tout ce qui est engendré en ce lieu,
nombre de jours qu’on ne peut dépasser,
encore que l’on peut fort bien l’abréger.
3000Point n’est besoin d’alléguer une autorité,
car cela est prouvé par expérience.
Mais je me plais à déclarer ma pensée.
Ainsi peut-on bien discerner par cet ordre
que ce créateur est stable et éternel,
et reconnaître, à moins d’être fol,
que chaque part dérive de ce tout.
Car nature n’a pas pris son commencement
d’une partie ou d’une portion d’être,
mais d’un être qui est parfait et stable ;
3010et ainsi descendant elle devint corruptible.
Et c’est ainsi qu’en sa sage prévoyance
il a si bien réglé son ordonnance
pour que les espèces des êtres et leurs progressions
durassent par successions,
et ne fussent pas éternelles. Telle est la vérité.
Cela tu peux le comprendre et voir de tes yeux.
Voilà le chêne qui a une si longue croissance
depuis le jour où il commence à sortir de terre,
et a une si longue vie, comme nous pouvons voir ;
3020pourtant à la fin périt l’arbre.
Considérez encore comment la dure pierre
sous nos pieds, que nous foulons et piétinons,
périt pourtant à force d’être sur le chemin.
Le grand fleuve parfois se dessèche.
Les grandes villes, nous les voyons décliner et disparaître.
Ainsi vous pouvez voir que tout ici a une fin.
L’homme et la femme nous voyons bien aussi
que nécessairement, à l’un des deux âges,
c’est-à-dire dans la jeunesse ou bien dans la vieillesse,
3030ils doivent mourir, le roi comme le page,
l’un en son lit, l’autre en la mer profonde,
l’autre dans la plaine, ainsi qu’on peut voir.
Rien n’y fait ; tous y passent.
Donc je puis dire que tout ici-bas doit mourir.