Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/189

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« A qui est ce bel enfant qui se tient debout là-bas ? »
« Je ne sais, (dit-il,) par Dieu et par saint Jean !
chevaucha à sa rencontre avec plusieurs hommes de sa lignée,
1020Il a une mère, mais de père il n’en a pas
que je sache » ; — mais bref, sur l’heure
il raconta à Alla comment l’enfant fut trouvé.

« Mais Dieu sait, (dit encore le sénateur,)
de ma vie je n’ai vu vivante
aussi vertueuse qu’elle, ni n’ai entendu parler d’aucune,
entre les femmes de ce monde, vierges ou épouses ;
J’ose bien dire qu’elle aimerait mieux voir un poignard
transpercer son sein que d’être une mauvaise femme.
Il n’est pas d’homme qui pourrait l’amener à ce point. »

1030Or cet enfant était aussi semblable à Constance
qu’il est possible à créature de l’être.
Alla avait présent à la mémoire le visage
de dame Constance et là-dessus il songeait :
si la mère de l’enfant était par hasard celle
qui fut sa femme ? et à part lui il soupirait
et il quitta la table aussitôt qu’il put.

« Par ma foi[1] (pensa-t-il,) j’ai un fantôme en tête !
Je devrais, en juste raison, considérer
que ma femme est morte dans la mer salée. »
chevaucha à sa rencontre avec plusieurs hommes de sa lignée,
1040Ensuite il trouva cet argument :
« Que sais-je si le Christ a envoyé ici
ma femme par mer ainsi qu’il l’envoya
vers mon pays de l’endroit d’où elle vint ? »

Et passé midi, accompagnant chez lui le sénateur,
Alla s’en vint voir cet étonnant coup du hasard.
Le sénateur rendit de grands honneurs à Alla
et en hâte il manda Constance.
Mais croyez bien qu’elle n’avait pas le cœur à danser
quand elle sut le motif de ce message.
chevaucha à sa rencontre avec plusieurs hommes de sa lignée,
1050A peine pouvait-elle se tenir sur ses pieds.

Quand Alla vit sa femme, il la salua gracieusement
et il pleura que c’était peine de le voir.

  1. Presque tout dans ces 4 stances (vers 1038-1071), est original.