Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/190

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Car au premier regard qu’il jeta sur elle
il connut en toute vérité que c’était elle,
et de chagrin elle se tenait muette comme un arbre,
tant son cœur s’absorbait dans sa détresse
lorsqu’elle se rappelait sa dureté envers elle.

Deux fois sous ses yeux elle s’évanouit.
Il pleura et s’excusa tristement.
1060« Or que Dieu, dit-il, et tous ses saints glorieux
aient aussi certainement pitié de mon âme
que je suis moi, innocent de votre malheur,
aussi vrai que mon fils Maurice vous ressemblait de visage ;
autrement que le démon me vienne prendre en ce lieu ! »

Longs furent les sanglots et la peine amère
avant que leur cœur attristé pût y faire trêve.
C’était grand’pitié d’entendre leurs plaintes,
par lesquelles plaintes s’accroissait leur douleur.
Je vous prie tous de me tenir quitte de mon labeur ;
1070je ne puis raconter leur douleur jusqu’à demain,
tant je suis las de parler de chagrin.

Mais à la fin, quand la vérité fut connue
qu’Alla était innocent du malheur de Constance,
je pense qu’ils s’embrassèrent cent fois
et qu’entre eux il y eut un bonheur tel
que sauf la joie qui dure éternellement
il n’en est point de semblable qu’aucune créature
ait vue ou doive voir tant que le monde existera.

Alors, humblement, elle conjura son mari,
1080comme soulagement à sa longue et triste peine,
qu’il priât spécialement son père
de vouloir, en sa majesté, consentir
à dîner quelque jour avec lui.
Elle le pria aussi qu’en aucune façon
il ne dît mot d’elle a son père.

D’aucuns voudraient dire que le jeune Maurice
porta ce message à l’empereur.
Mais j’imagine qu’Alla ne fut pas assez simple
pour envoyer à un homme de dignité aussi souveraine