Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/310

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Ainsi parlerez-vous et leur en ferez croire ;
car homme ne saurait aussi effrontément
que femme ni jurer ni mentir, il s’en faut[1] !
Je ne dis point cela pour qui est prude femme[2],
230sauf quand il lui advient d’être malavisée.
Prude femme qui sait ce qui est pour son bien
saura lui faire accroire que la corneille est folle[3]
et prendra à témoin sa propre chambrière
pour renfort. Mais oyez ce que je lui disais :
235    « Messire le cagnard, est-ce ainsi que tu fais ?
Dis, pourquoi la voisine est-elle ainsi parée ?
On la voit honorer en quelque lieu qu’elle aille.
Moi, je reste au logis ; je n’ai pas de bon drap.
Dis, qu’est-ce que tu vas faire chez la voisine ?
240Est-elle donc si belle ? Es-tu si amoureux ?
Que parlez-vous tout bas, grands dieux ! à la servante ?
Messire le paillard, laissez là tous vos tours.
Quand, moi, j’ai un compère ou que j’ai un ami,
en tout bien tout honneur, tu cries comme un beau diable
245si seulement je vais ou cours à sa maison !
Tu rentres au logis aussi soûl qu’une grive !
et prêches sur ton banc avec raisons mauvaises !
Tu me contes alors que c’est trop grand méchef
de prendre femme pauvre, attendu la dépense[4].
250Et si c’est femme riche ou bien de haut parage,
tu contes en ce cas que c’est trop grand tourment
de souffrir son orgueil et son humeur méchante.
Et si c’est femme belle, franc gredin que tu es,
le beau premier ribaud, dis-tu, aura la belle,
255car celle-là ne peut demeurer longtemps chaste
qui se voit assaillie de l'une et l’autre part.
    Tu contes que d’aucuns nous veulent pour richesses,
d’aucuns pour un beau corps, d’aucuns pour de beaux traits,
d’aucuns pour ce qu’on sait ou chanter ou danser,
260d’aucuns pour maintien noble et pour galants devis.

  1. Rom. de la Rose, 18817, elz.
  2. Rom, de la Rose, 10261, elz.
  3. Allusion à la corneille d’un conte. Elle eut la langue trop longue et jasa de
    sa maîtresse. D’aucuns disent que ce fut un perroquet. Voir le Conte du Manciple.
  4. Rom. de la Rose, 8905, elz.