Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/415

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    Son imagination excitée et son ardeur extrême
de jour en jour font entrer plus avant, en l’âme
de Janvier, son désir de mariage.
1580Maintes belles femmes, et maints beaux visages
passent à travers son cœur, nuit après nuit ;
comme qui prendrait un miroir poli et brillant
et le mettrait sur la place du marché,
verrait alors maintes images passer
dans son miroir ; de la même manière
Janvier, en son esprit, se mit à songer
aux jeunes filles qui demeuraient dans le voisinage.
Il ne savait où se fixer,
car si l’une avait la beauté du visage,
1590une autre s’était si bien concilié les bonnes grâces de toutes gens
par son sérieux et sa bénignité
qu’elle avait pour elle, par-dessus toutes, la voix du monde.
Quelques-unes étaient riches et avaient mauvais renom.
Mais néanmoins, mi-sérieux, mi par jeu,
à la fin il arrêta sa pensée sur une,
et laissa toutes les autres sortir de son cœur,
et il la choisit de sa propre autorité ;
car l’amour toujours est aveugle, et ne peut voir.
Et quand on l’avait porté dans son lit,
1600il se mettait à portraire, en son cœur et sa pensée,
sa fraîche beauté, et son âge tendre ;
sa taille mince, ses bras longs et fins,
sa sage gouvernance, sa gentillesse,
son gracieux déport, et son sérieux.
Et quand il eut condescendu vers elle,
il pensa que son choix ne pouvait être amendé,
car quand il eut ainsi conclu lui-même,
il pensa que le jugement de tous lui donnerait même conseil,
et qu’il était impossible d’objecter rien
1610à son choix ; telle était son idée.
Il envoya chercher ses amis, avec requête instante,
et les pria de lui faire le plaisir
de venir en hâte le trouver ;
il voulait abréger leurs recherches à tous.
Plus ne leur est besoin pour lui de courir à pied ou à cheval,
il avait trouvé où se fixer.