Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/429

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de son dessein ou de telle matière,
sans être sûr d’être entendu de Janvier
qui avait une main sur elle, sans cesse.
Mais néanmoins, par billets échangés
et par signes secrets, il sut ce qu’elle désirait,
et elle aussi connaissait les fins de son intention.

L’Auteur. — Ô Janvier, à quoi te servirait-il
d’être capable de voir aussi loin que vaisseaux font voile ?
car autant vaut être aveugle et trompé
2110 que d’être trompé quand on peut y voir.
Vois, Argus qui avait cent yeux,
si bien qu’il pût voir et de près et de loin,
pourtant il fut trompé ; et, Dieu le sait, beaucoup d’autres le sont
qui se croient bien sûrs de ne pas l’être.
Ignorance est bonheur, je n’en dis pas plus.

Cette fraîche Mai, dont je parle depuis si longtemps,
avec de la cire tiède a pris l’empreinte de la clé
que portait Janvier, la clé de la petite porte
par laquelle dans son jardin souvent il se rendait ;
2120 et Damien qui savait bien où elle voulait en venir,
contrefit cette clé secrètement ;
il n’y a rien de plus à en dire, mais bientôt
quelque merveille se produira grâce à cette clé,
et vous l’apprendrez, si vous voulez attendre un peu.

L’Auteur. — Ô noble Ovide, comme tu dis vrai, Dieu le sait.
Quelle ruse est-il, si longue et périlleuse qu’elle soit,
qu’un amant n’imagine d’une façon ou d'une autre ?
Par Pyrame et Thisbé on peut l’apprendre ;
bien qu’ils fussent très longtemps étroitement gardés,
2130 ils se mirent d’accord, en chuchotant à travers un mur,
là où personne n’aurait pu découvrir une telle ruse.

Mais maintenant, au fait ; avant que huit jours
fussent passés du mois avant juillet, il advint
que Janvier prit une si grande envie,
sa femme l’y excitant, de s’ébattre
dans son jardin, et nul autre qu’eux deux,
qu’un matin à Mai il a dit :