Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/430

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« Lève-toi, ma femme, mon amour, ma gentille dame ;
on entend la voix de la tourterelle, ma douce colombe ;
2140 l’hiver est passé, avec toutes ses humides pluies.
viens maintenant, avec tes yeux de colombe !
Comme tes seins sont meilleurs que le vin !
Le jardin est tout enclos de murs ;
viens, ma blanche épouse ; en vérité
tu m’as blessé au cœur, ô ma femme !
et jamais de ma vie je n’ai trouvé de tache en toi[1].
Viens, et prenons notre déduit ;
je t’ai choisie pour ma femme et ma consolation. »
Telles étaient les vieilles folies qu’il lui disait.
2150 À Damien elle fit signe
de partir devant avec sa clé.
Ce Damien donc a ouvert la petite porte
et le voici entré, et de telle façon
que nul ne peut le voir ni l’entendre
et sans bouger il s’assit aussitôt sous un buisson.
Janvier aussi aveugle que l’est une pierre,
tenant Mai par la main, et sans personne d’autre,
dans son frais jardin est entré,
et a refermé vivement la porte.
2160 « Maintenant, ma femme (dit-il) il n’y a ici que toi et moi,
et tu es la créature que j’aime le mieux,
car, par le Seigneur qui siège là-haut dans le ciel,
j’aimerais mieux périr sous le couteau
que de t’offenser, fidèle et chère femme !
Pour l’amour de Dieu, pense comment je t’ai choisie,
non par convoitise, en vérité,
mais seulement pour l’amour que j’avais pour toi.
Et quoique je sois vieux et ne puisse voir
sois-moi fidèle, et je vais te dire pourquoi.
2170 Trois choses, certes, tu gagneras par là :
d’abord l’amour du Christ ; pour toi-même, l’honneur ;
et tout mon héritage, village et castel,
je te le donne ; fais les chartes comme tu voudras ;
cela sera fait demain avant que le soleil se couche,
vrai comme je prie Dieu de conduire mon âme à la félicité.

  1. Ce discours reproduit à peu près textuellement des passages du Cantique des Cantiques.