Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/77

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1510« Mai, avec toutes tes fleurs et ta verdure,
sois le bienvenu, Mai si beau, si frais,
et laisse-moi remporter quelque vert feuillage. »
Sautant à bas de son coursier, d’un cœur allègre,
il se jette dans le bocage d’un pas rapide,
en un sentier erre de-ci de-là
juste où Palamon, d’aventure,
en un buisson se cachait à tous les yeux,
car il avait grand’peur d’être tué.
En rien ne se doutait que c’était Arcile :
1520Dieu sait qu’il l’aurait cru à grand’peine.
Bien vrai dit-on, depuis maintes années,
que champs ont yeux et que bois ont oreilles.
Il est bien qu’un homme marche droit
car chaque jour apporte ce qu’on attend le moins.
Arcite ne soupçonnait guère que son ami
était si près, à même d’entendre toutes ses paroles ;
et lui dans le buisson maintenant se tenait coi.

Quand Arcite eut erré tout son content,
et chanté tout le rondel allègrement,
1530en humeur soucieuse il tomba tout soudain,
comme font les amoureux en leurs façons bizarres,
tantôt sur la cime, tantôt dans les ronces,
tantôt en l’air, tantôt en bas, comme les seaux d’un puits.
Tout ainsi que, le Vendredi[1], pour parler vrai,
tantôt il fait beau, tantôt il pleut à verse,
tout ainsi Vénus changeante peut assombrir
le cœur de ses dévots ; tout ainsi que ce jour
est changeant, tout ainsi change-t-elle ses dispositions.
Rarement le Vendredi chaque semaine est le même.
1540À peine Arcile eut-il chanté, qu’il se prit à soupirer
et il s’assit sans plus :
« Hélas, dit-il, maudit le jour qui m’a vu naître !
Jusques à quand, Junon, en ta cruauté,
veux-tu guerroyer contre la cité de Thèbes ?
Hélas ! elle est en plein désarroi
la royale descendance de Cadmus et d’Amphion ;

  1. Le Vendredi, c’est-à-dire le jour de Vénus