Page:Cherbuliez - Amours fragiles, 1906.djvu/161

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César et à détester sincèrement Lincoln. Chaque soir, avant de s’endormir, il nourrit sa haine au biberon ; en se réveillant, il la retrouve sous son oreiller, et il découvre un matin qu’elle a des griffes, de vraies griffes, très pointues, très crochues, qui lui ont poussé pendant la nuit. Peut-être en ce moment lui fait-elle peur ; il se repent de l’avoir trop bien nourrie ; il lui dit : Tout doux, ma belle, ne nous fâchons pas, ceci n’était qu’une plaisanterie. Elle n’entend pas raison, elle le tourmente, elle l’obsède, elle ne lui laisse aucun repos, elle veut boire du sang… Eh ! parbleu, il lui en fera boire. Qui pourrait dire, mon cher Severn, où commence et où finit la sincérité ? Booth était un cabotin ; mais, quand il a tué Lincoln, il a cru sérieusement sentir tressaillir en lui l’âme de Brutus. Ce qui me paraît constant et démontré, c’est qu’il était malade, ce qui est le cas de beaucoup d’assassins. Je voudrais parier aussi qu’il s’est défendu quelque temps contre sa maladie et qu’il en est venu à l’aimer. Il en est ainsi de toutes les maladies de l’esprit, d’où je conclus que si Booth avait rencontré en temps utile un bon médecin, et que si ce médecin l’avait mis à un régime rafraîchissant, presque exclusivement végétal, lui avait administré au besoin quelques bonnes saignées ou quelques