Page:Cherbuliez - Amours fragiles, 1906.djvu/171

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pour découvrir ses dents. Je voudrais vous y voir !

— C’est un genre de succès auquel je renonce absolument, lui repartis-je ; j’en ai fait depuis longtemps mon deuil.

— J’étais très émue ; j’avais le souffle court, je voyais trouble. J’avais eu une peur affreuse de manquer mon entrée ; je m’étais dit : Si cette fois on ne me remarque pas, je suis perdue, c’en est fait, il ne me reste plus qu’à entrer au couvent. Je fus bientôt rassurée, je tenais mon affaire, et je chantai en perfection mes deux couplets, qui furent bissés. Quand j’eus fini, je laissai mes yeux trotter dans cette grande salle comble, qui était occupée à me regarder. Tout à coup il me sembla que dans cette foule il y avait quelqu’un qui me regardait encore plus que tous les autres, et j’aperçus à l’orchestre, au bout du sixième rang, tout près du couloir, un homme qui devait être un étranger et dont la figure me frappa. Il avait une fort belle tête, une belle prestance, l’air fier, délibéré, un teint clair, de grands yeux sombres, une fine moustache, des cheveux noirs qui frisaient naturellement. Je ne m’étais pas trompée, cet homme me regardait plus que tout le monde. Il ne me perdait pas de vue, il me mangeait de la prunelle ; pour lui, la pièce, c’était moi. Je ne pouvais pas m’empêcher