Page:Cherbuliez - Amours fragiles, 1906.djvu/18

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« Dix-huit mois après son installation à Paris, elle publia un roman, qui, par le plus grand des hasards, me tomba sous la main. Je te confesse que je ne l’ai pas lu jusqu’au bout ; on ne peut demander à un homme d’avoir tous les genres de courage. Cela commençait par la description d’un brouillard. Au bout de dix pages, le ciel soit loué ! le brouillard se levait, et on apercevait une femme dans une calèche. Je me souviens que cette calèche sortait de chez Binder, et je me souviens aussi que cette femme, dont le cœur était un abîme, gantait le six un quart, qu’elle avait trois taches de rousseur à la tempe droite, ni plus ni moins, « des narines palpitantes, des ronds de bras inimitables et des silences anhélants. » Je ne sais si tu es comme moi, le charabia et les descriptions me font peur, et je me sauve. J’ai d’ailleurs l’esprit si mal fait que cette femme, dont le portrait a coûté tant de mal à l’auteur, je ne la vois pas ; le bon Homère, qui n’était pas un jeune, s’est contenté de m’apprendre qu’Achille était blond, et je le vois. Enfin, que veux-tu ? C’est la mode du jour ; cela s’appelle étudier… comment disent-ils ? les documents humains, et il paraît que personne ne s’en était avisé jusqu’aujourd’hui, pas même mon vieil ami Fielding, que je relis tous les ans.