Page:Cherbuliez - Amours fragiles, 1906.djvu/19

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Documentez à votre aise, mes enfants, et allez dîner chez Mme Corneuil, qui ne reçoit que les gens qui documentent. Je n’aime pas beaucoup les pédants sérieux, mais j’ai la sainte horreur de la pédanterie appliquée à la babiole ; n’étant plus jeune, je suis de l’avis de Voltaire, qui n’aimait pas qu’on discutât pesamment ce qui ne vaut pas la peine d’être remarqué légèrement.

« Le roman de Mme Corneuil, j’ai regret à le dire, tomba tout à plat ; encore prétend-on qu’il y avait un teinturier. Elle tâcha de se rattraper sur les vers et publia un volume de sonnets ; il n’était pas question là dedans de M. Corneuil ; c’étaient des vers écrits au courant de la plume, mais d’une plume taillée par un ange, et pleins des sentiments les plus exquis, les plus suaves, les plus raffinés. Règle générale, quand les femmes séparées font des sonnets, ces sonnets sont toujours sublimes. Malheureusement le sublime ne se vend guère ; ce fut un cruel chagrin pour Mme Corneuil, qui du coup se brouilla avec la muse et congédia son teinturier.

« Tous les grands artistes, Mozart comme M. de Talleyrand, Raphaël comme M. de Bismarck, ont eu plusieurs manières. Mme Corneuil jugea à propos de changer la sienne. Elle réforma son