Page:Cherbuliez - Amours fragiles, 1906.djvu/22

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n’en sait rien, les heureux qu’elle a pu faire ont été discrets. A mon avis, elle est froide comme glace, et si jamais elle fait une faute, c’est qu’elle y trouvera son compte. Elle pêche à la ligne dormante ; quand le poisson mord, tant pis pour lui, elle n’y est pour rien. Ce qui est certain, c’est qu’elle a l’oreille prude et qu’elle entend qu’on la traite en divinité et qu’on la nourrisse d’ambroisie, sans lui ménager l’encens. Je doute que sa vertu lui soit chère ; mais elle tient beaucoup à sa réputation par souci de l’avenir. Elle aspire à devenir une puissance, à être quelque chose dans la politique, et comme elle est persuadée que M. Corneuil en a dans l’aile, son rêve est d’épouser quelque jour un beau nom ou un député ; en ce cas, c’est elle qui à son tour sera le teinturier. » Le joli garçon me disait tout cela avec aigreur. J’ai appris dans le cours de la conversation que depuis près d’un an il n’a pas dîné ni remis les pieds chez Mme Corneuil. J’en ai conclu qu’il s’était bercé d’audacieuses espérances, qu’il avait trop osé, et que, le jour où le fameux salon a été nettoyé, il ne s’était pas trouvé du côté du manche de l’époussette. Montesquieu avait coutume de dire : « Le Père Tournemine et moi, nous nous sommes brouillés, et il ne faudra pas nous croire