Page:Cherbuliez - Amours fragiles, 1906.djvu/228

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trajet, il fit subir un interrogatoire en règle à ses compagnons de route ; il avait l’air d’une corneille qui abat des noix, et au demeurant il ne doutait pas que des Français ne fussent très sensibles à l’honneur que leur fait un penseur d’outre-Rhin en les questionnant. La marchande de marée, qui aimait à jaser, lui répondit de point en point. Il voulut savoir quelles espèces de poisson elle portait dans sa corbeille, et il sourit majestueusement quand elle lui vanta ses anguilles ; il lui fit la grâce de lui déclarer qu’il n’y a de vraies anguilles que celles qui barbotent dans la Neisse. M. Taconet fut moins complaisant, se renferma dans un morne silence, et ne daigna pas apprendre à l’interrogant sociologue que, étant né à Metz, il avait peu de goût pour les Allemands. Il n’eut garde non plus de lui dire qu’il avait été commissaire de police à Melun, que, ayant fait depuis peu un héritage, il avait pris sa retraite et qu’il se rendait à Barbison pour y donner des ordres touchant une maisonnette qu’il y faisait bâtir et dans laquelle il se promettait de passer ses vieux jours. Il se donna encore moins la peine de lui révéler qu’il n’avait lu dans toute sa vie qu’un seul livre, écrit par François Rabelais, mais qu’il l’avait bien lu, qu’il le savait par cœur, et qu’à sa manière il y avait