Page:Cherbuliez - Amours fragiles, 1906.djvu/320

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

d’Ilion épouvanta les Grecs et les Troyens ; mais son cri lui resta au cou. Pour la seconde fois M. Drommel regarda le chêne et le chêne regarda M. Drommel, il avait l’air de lui dire : « Souviens-toi, mon grand sociologue, que la sélection est la loi de ce monde et qu’il n’y a de sacré dans la nature que le droit du plus fort. » Le fait est qu’il ne disait rien ; mais peut-être n’en pensait-il pas moins. Qui peut savoir ce qui se passe dans l’âme d’un chêne mort ?

M. Drommel se calma, s’apaisa. « Elle va venir, pensa-t-il ; car il est impossible qu’elle ne vienne pas. » C’était de sa femme qu’il entendait parler. A vrai dire, il était tourmenté par l’idée qu’il allait s’offrir à ses yeux dans une situation bien peu digne de lui. Elle aurait peine à reconnaître son maître et son dieu, elle le prendrait en pitié, son prestige en souffrirait. Il cherchait péniblement dans sa tête les termes d’une explication propre à sauver sa dignité. Cependant les quarts d’heure succédaient aux quarts d’heure, et Mme Drommel ne venait pas, et personne ne passait sur la route, à l’exception de celui qui passe sans cesse dans les forêts, de ce rôdeur infatigable qui va, vient et tantôt court à perte d’haleine ; tantôt s’arrête pour muser, frôlant de son aile la cime