Page:Chevrier - Le Colporteur, éd. Van Bever, 1914.djvu/19

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AVANT-PROPOS III

dieux que la justice des hommes ? C’est ce que nous ne saurions dire, Chevrier, nous le répétons, n’ayant pas pris la peine de faire là-dessus quelque confidence. Peut-être au fond fut-il simplement cet « ami » des femmes que le dix-neuvième siècle a tant vulgarisé dans les livres. Il fréquenta assidûment les boudoirs et les loges d’actrices. Aussi nous a-t-il rapporté sur le monde qui hante la scène une foule de traits plus caractéristiques, et surtout plus vraisemblables, que les bavardages des romanciers à la mode. Au théâtre, il est chez lui. Ce qui touche aux mœurs et à la littérature dramatiques ne le laisse point indifférent. Son opinion est sûre. Il ne farde point ses mots. Il sait par le menu les liaisons des artistes et des gens du monde. Il en tient le doit et l’avoir.

D’ailleurs, sa verve est alerte et brillant son débit. Le menu propos excite sa faconde ; l’épigramme fait feu dans sa répartie. Un seul livre, un seul, ce Colporteur qui fait l’objet de la présente réédition, contient le meilleur de lui-même, ce qui ne périra pas tout entier de sa production besogneuse. C’est le chef-d’œuvre de la médisance. Jamais on n’a porté si loin l’art d’atteindre et de détruire les réputations. Bien que ce dialogue d’une heure, entre plusieurs personnages quasi conventionnels ne nous promette, au début, rien de particulièrement attachant, il s’ensuit que la chronique scandaleuse d’une époque défile là, sous un jour nouveau. Les noms n’y sont pas souvent voilés, et si, parfois, le metteur en scène interrompt le récit par des faits d’un autre temps et d’un autre lieu, c’est qu’il veut, semble-t-il, ajouter à la causticité du récit ou dérouter son lecteur. En effet, nul ne sait comme Chevrier se réjouir de la confusion de ceux qui l’écoutent. Aussi bien ne se gausse-t-il jamais plus à propos que lorsqu’il veut nous conter une de ces his-