Page:Chevrier - Le Colporteur, éd. Van Bever, 1914.djvu/37

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LE COLPORTEUR l5

naire d’un Cour éclairée, répondra sûrement l’avocat Apraxin (1). Eh parbleu, lui dira-t-on, de telles faveurs arrachées à la pitié par l’importunité, ne prouvent pas le mérite ; Chapelain et Pradon, avilis avec raison, étoient pensionnés par Louis XIV. La comparaison de ces deux auteurs, tout médiocres qu’ils sont, honore M. Accarias, qui n’est assurément pas en état de faire la Pucelle ni Regulus (2). Mais c’est l’épidémie de ce siècle ; chacun veut être auteur, quand il ne sait plus que devenir ; encore si la modestie, qui devroit être le Partage de la médiocrité, annonçoit ces Intrus dans l’Empire des lettres ? mais non, la fureur de médire des gens qu’ils croient ne craindre plus, dès qu’ils les ont perdus de vue ; un ton imposant, et une ignorance suprême de leur démérite appuyé par l’insolence même, leur persuadent qu’ils sont de grands hommes ; et partant de ce principe erroné, ils ont la manie de jouer les importans, de prévenir qu’ils ont dans leurs porte-feuilles des systèmes de Gouvernement, et de vouloir enfin se faire acheter par des Souverains étrangers qui dédaignent de les marchander.

— Tous vos Journaux me font bâiller, Monsieur Brochure, dit la marquise. — Tant mieux, Madame, répondit le Colporteur, ils remplissent leur objet : comme je ne les vends que contre l’insomnie, je suis charmé quand ils font leur effet. — Quel est ce gros in-quarto ? dit le Chevalier. — C’est, repartit Brochure, un composé des quatre semences froides. — Je vous entends, dit M me de Sarmé, ce sont des harangues académiques. — Oui, Madame, reprit le Colporteur ; j’y ai joint, pour la commodité de mes lecteurs malades, un assortiment léthar-

(1) Mot grec qui signifie sans pratique. (Note de Chevrier.)

(2) C’est la meilleure des pièces de Pradon. (Ibid.)