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Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/82

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LES LIAISONS

plus elle me paraît désirable. Elle s’empressa de retourner à son métier, & eut l’air, pour tout le monde, de recommencer sa tapisserie ; mais moi, je m’aperçus bien que sa main tremblante ne lui permettait pas de continuer son ouvrage.

Après le dîner, les dames voulurent aller voir les infortunés que j’avais si pieusement secourus ; je les accompagnai. Je vous sauve l’ennui de cette seconde scène de reconnaissance & d’éloges. Mon cœur, pressé d’un souvenir délicieux, hâte le moment du retour au château. Pendant la route, ma belle présidente, plus rêveuse qu’à l’ordinaire, ne disait pas un mot. Tout occupé de trouver les moyens de profiter de l’effet qu’avait produit l’événement du jour, je gardais le même silence. Madame de Rosemonde seule parlait, & n’obtenait de nous que des réponses courtes et rares. Nous dûmes l’ennuyer ; j’en avais le projet, & il réussit. Aussi, en descendant de voiture, elle passa dans son appartement & nous laissa tête à tête, ma belle & moi, dans un salon mal éclairé ; obscurité douce, qui enhardit l’amour timide.

Je n’eus pas la peine de diriger la conversation où je voulais la conduire. La ferveur de l’aimable prêcheuse me servit mieux que n’aurait pu faire mon adresse. « Quand on est si digne de faire le bien, me dit-elle en arrêtant sur moi son doux regard, comment passe-t-on sa vie à mal faire ? — Je ne mérite, lui répondis-je, ni cet éloge, ni cette censure, et je ne conçois pas qu’avec autant d’esprit que vous en avez, vous ne m’ayez pas encore deviné. Dût ma confiance