Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/232

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Sans doute une lettre paraît bien peu nécessaire, quand on peut se voir librement. Que dirait-elle, qu’un mot, un regard, ou même le silence, n’exprimât cent fois mieux encore ? Cela me paraît si vrai, que dans le moment où tu me parlas de ne plus nous écrire, cette idée glissa facilement sur mon âme ; elle la gênait peut-être, mais ne l’affecta point. Tel à peu près, quand voulant donner un baiser sur ton cœur, je rencontre un ruban ou une gaze, je l’écarte seulement, & n’ai cependant pas le sentiment d’un obstacle.

Mais depuis, nous nous sommes séparés ; & dès que tu n’as plus été là, cette idée de lettre est revenue me tourmenter. Pourquoi, me suis-je dit, cette privation de plus ? Quoi ! pour être éloignés n’a-t-on plus rien à se dire ? Je suppose que, favorisés par les circonstances, on passe ensemble une journée entière ; faudra-t-il prendre le temps de causer sur celui de jouir ? Oui, de jouir, ma tendre amie ; car auprès de toi, les moments même du repos fournissent encore une jouissance délicieuse. Enfin quel que soit le temps, on finit par se séparer ; & puis, on est si seul ! C’est alors qu’une lettre est précieuse ! si on ne la lit pas, du moins on la regarde…… Ah ! sans doute, on peut regarder une lettre sans la lire, comme il me semble que la nuit j’aurais encore quelque plaisir à toucher ton portrait…

Ton portrait, ai-je dit ? Mais une lettre est le portrait de l’âme. Elle n’a pas, comme une froide image, cette stagnance si éloignée de l’amour ; elle se prête