Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/42

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ma fille d’être née riche, si elle n’en doit pas moins être esclave de la fortune.

Je conviens que M. de Gercourt est un parti meilleur, peut-être, que je ne pouvais l’espérer pour ma fille ; j’avoue même que j’ai été extrêmement flattée du choix qu’il a fait d’elle. Mais enfin, Danceny est d’une aussi bonne maison que lui ; il ne lui cède en rien pour les qualités personnelles ; il a sur M. de Gercourt l’avantage d’aimer & d’être aimé : il n’est pas riche à la vérité ; mais ma fille ne l’est-elle pas assez pour eux deux ? Ah ! pourquoi lui ravir la satisfaction si douce d’enrichir ce qu’elle aime !

Ces mariages qu’on calcule, au lieu de les assortir, qu’on appelle de convenance, & où tout se convient en effet, hors les goûts & les caractères, ne sont-ils pas la source la plus féconde de ces éclats scandaleux qui deviennent tous les jours plus fréquents ? J’aime mieux différer ; au moins j’aurai le temps d’étudier ma fille que je ne connais pas. Je me sens bien le courage de lui causer un chagrin passager, si elle doit en recueillir un bonheur plus solide : mais de risquer de la livrer à un désespoir éternel, cela n’est pas dans mon cœur.

Voilà, ma chère amie, les idées qui me tourmentent, & sur quoi je réclame vos conseils. Ces objets sévères contrastent beaucoup avec votre aimable gaieté, & ne paraissent guère de votre âge ; mais votre raison l’a tant devancé ! Votre amitié d’ailleurs aidera votre prudence ; & je ne crains point que l’une ou l’autre se refusent à la sollicitude maternelle qui les implore.