Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 2, 1864.djvu/470

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de Judas ne peut le vaincre ni le contraindre, il s’écrie à la face du traître et de tous les autres : Qui cherchez-vous ? Est-ce que Judas ne connaissait pas celui qu’il devait livrer ? Il le connaissait, mais le Seigneur l’avait aveuglé et, de plus, il les avait tous renversés à terre par une seule parole. Ce fait prodigieux ne les rendit pas plus humains et ne détourna pas le scélérat de sa trahison : rebelle à tous les remèdes, il s’opiniâtra dans son crime ; et pourtant il ne parvint pas à s’aliéner son Maître qui lui témoigna encore de la bienveillance et de l’intérêt. Voyez avec quelle délicate attention le Christ cherche à toucher cette âme éhontée et à lui parler un langage capable d’attendrir un cœur de marbre. En effet, lorsque Judas s’approche pour lui donner le baiser, que dit le Christ ?Judas, tu trahis le Fils de l’homme par un baiser. (Luc. 22, 48) Est-ce qu’enfin la révélation de sa trahison ne va pas le faire rougir ? Par ces mots, Jésus veut l’émouvoir et raviver en lui le souvenir de leur première intimité. Aucune de ces actions, aucune de ces paroles ne rendit Judas meilleur ; ce n’était pas que la puissance manquât à Celui qui lui donnait de tels avertissements, mais Judas était tombé dans l’endurcissement. Quoique le Christ connût d’avance tout ce qui devait arriver, il ne cessa pas, du commencement jusqu’à la fin, de déployer toute sa bonté en faveur du misérable. Et nous, mes bien-aimés, nous qui sommes instruits par ces exemples, nous devons apporter une résolution persévérante et infatigable à aimer et à instruire ceux de nos frères qui se négligent eux-mêmes, dussent nos exhortations demeurer infructueuses. Si le Seigneur, qui connaissait d’avance l’issue infructueuse de ses efforts, a néanmoins déployé tant de sollicitude envers cet homme qui devait ne recueillir aucun profit de tous ces avertissements, quelle indulgence mériterions-nous, si, tout incertains que nous sommes du résultat de nos tentatives, nous étions assez indifférents au salut de notre prochain, pour y renoncer après une ou deux exhortations ? Outre ce que je viens d’expliquer, considérons ce qui se passe à notre égard, rappelons-nous que Dieu nous interpelle quotidiennement par ses prophètes et par ses apôtres, et que quotidiennement nous refusons de l’entendre, mais qu’il ne cesse pas de nous appeler et de nous instruire malgré nos rébellions et notre insouciance. Saint Paul nous crie : Nous remplissons pour le Christ les fonctions d’ambassadeurs ; c’est Dieu même qui vous exhorte par notre organe. Nous vous conjurons, au nom du Christ, de vous réconcilier avec Dieu. (2Co. 5, 20) Faut-il avancer une proposition nouvelle et singulière que celui qui donne des conseils avec la prévision qu’ils seront suivis avec docilité, n’a pas autant de droit à la louange que celui qui, après avoir longtemps parlé et longtemps prêché, n’obtient rien et néanmoins ne se décourage pas ? Le premier, fût-il le plus apathique des hommes, sera excité à remplir vivement son ministère par l’espérance qu’il aura de persuader son auditeur ; le second, au contraire, qui prêche assidûment sans être écouté, mais sans abandonner son œuvre, donne la meilleure preuve d’une ardente et franche charité : il n’est soutenu par aucun espoir de réussite ; c’est la charité toute seule qui l’empêche de renoncer à la sollicitude qu’il a pour le salut de ses frères. Nous avons suffisamment prouvé qu’il ne faut jamais délaisser ceux qui sont tombés, lors même que nous aurions la certitude qu’ils ne nous écouteront pas. Il nous reste à réprimander les libertins : tant que dureront les réjouissances profanes de ces jours-ci, tant que le démon blessera les âmes par la débauche, mon devoir est de porter remède au mal.
6. Hier, nous avons élevé comme une barrière devant ces gens-là la parole de saint Paul : Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, soit que vous fassiez toute autre action, accomplissez tout à la gloire de Dieu (1 Cor. 10, 31) ; aujourd’hui, faisons paraître le Maître même de saint Paul, non pas le Maître qui se contente de conseiller, d’avertir qu’il faut s’abstenir de débauches, mais le Maître qui frappe et qui châtie le débauché. Car l’histoire de Lazare et du mauvais riche, tout ce qui arrive à l’un et à l’autre, ne nous montre pas autre chose. Pour ne pas m’exposer à traiter ce sujet à la légère, je vais vous reproduire la parabole elle-même depuis le commencement : Il était un homme riche, qui ne portait en vêtements que le byssus et la pourpre, qui chaque jour festoyait splendidement. Sous le vestibule de son palais, se trouvait gisant un pauvre, nommé Lazare ; il était tout rongé par des ulcères ; il souhaitait, pour toute nourriture, les miettes qui tombaient de la table du riche. Mais c’étaient les chiens qui venaient à lui et