Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 2, 1864.djvu/469

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Si vous vouliez vous partager entre vous le soin du salut des autres et entreprendre chacun l’édification d’un de ces frères qu’on néglige, l’édifice de la sainteté grandirait parmi nous avec rapidité – Et pourquoi parler de ceux qui, après de nombreuses et longues exhortations, viennent à résipiscence ? Ils ne sont pas les seuls dont on doive s’occuper. Ceux même qui sont atteints d’une incurable plaie ne doivent jamais être abandonnés ni laissés de côté, quand même nous pourrions prévoir avec certitude que tout notre zèle et toutes nos admonestations ne leur seront d’aucun profit. Cette assertion vous semble paradoxale ; eh bien ! Jésus-Christ a parlé et agi de manière à nous obliger à y ajouter foi. Nous autres hommes, nous ignorons l’avenir et nous ne pouvons discerner à l’avance, si nos paroles seront accueillies ou non par ceux qui les entendent. Le Christ, au contraire, possédait la connaissance certaine de ces deux choses, et néanmoins il ne cessa jusqu’à la fin de reprendre l’homme qui devait l’écouter le moins. Il savait que rien ne détournerait Judas de son infâme trahison, et pourtant il ne cessa pas un instant de chercher à le ramener par les conseils, par les avis, par les bienfaits, par les menaces, par tous les moyens possibles d’enseignement ; il lui fit constamment sentir le frein de la parole pour réprimer ses instincts pervers. Cette conduite eut pour but de nous apprendre à nous-mêmes que, même en prévoyant que nos frères ne se laisseront pas persuader, nous devons toujours faire pour eux tout ce qui dépend de nous, assurés à l’avance que la récompense de nos efforts est toute préparée. Voyez avec quelle persévérance et quelle sagesse le Christ s’efforce d’arrêter Judas : L’un d’entre vous me trahira (Mat. 26, 21), dit-il ; puis il ajoute : Je ne parle pas de vous tous : je connais ceux que j’ai élus. (Jn. 13, 18) Et encore : L’un de vous est un démon. (Jn. 6, 71) Il préféra mettre tous les autres dans le souci, plutôt que de déceler le traître et de le rendre plus impudent encore par une accusation publique. Pour comprendre jusqu’à quel point les paroles du Christ jetèrent le trouble dans le cœur des autres apôtres, bien que la conscience ne leur reprochât rien, écoutez avec quelle anxiété chacun lui demande : Seigneur, est-ce moi ? (Mat. 26, 22) Jésus-Christ s’efforça d’éclairer le misérable Judas, non-seulement par des paroles, mais aussi par des actes. En effet, il donna les marques les plus nombreuses et les plus variées de sa divine bonté en purifiant les lépreux, en chassant les démons, en guérissant les malades, en ressuscitant les morts, en rétablissant les paralytiques, en faisant du bien à tout le monde ; mais il n’infligea de châtiment à personne, répétant sans cesse : Je ne suis pas venu juger le monde, mais le sauver. (Jn. 12, 47) Toutefois, pour ôter à Judas l’idée que le Christ savait opérer le bien, mais ne pouvait pas punir, il voulut lui donner aussi une leçon sur ce point et lui montrer qu’il possédait le droit et le pouvoir de châtier les pécheurs et de les livrer au supplice.
5. Mais voyez avec quelle sagesse, avec quelle convenance il lui donne cet enseignement sans punir, sans frapper une créature humaine. Expliquons-nous : s’il punit un homme, il va paraître contredire lui-même sa doctrine, lui qui avait dit auparavant : Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde. (Jn. 12, 47) S’il ne punit personne, le disciple n’apprendra point par un acte authentique que son maître a le pouvoir de punir ; il restera incorrigible. Que faire donc ?
Pour inspirer la crainte à son disciple et l’empêcher de concevoir un mépris dont sa malice se fût accrue, sans néanmoins infliger à un homme une peine, un châtiment, un supplice, le Christ exerce sa puissance sur un être inanimé, sur le figuier ; il dit : Dès cet instant, tu ne porteras plus de fruit. (Mat. 21, 19) Et, par ce seul mot, l’arbre est desséché immédiatement. De la sorte, sans qu’aucun homme soit frappé, il montre sa puissance : c’est un arbre qui reçoit le coup vengeur. Si le disciple eût voulu comprendre, il eût retiré de ce châtiment une leçon salutaire. Mais ce miracle même ne le corrigea pas ; et le Christ, qui en avait la prescience, ne se borna pas à cette mesure, il fit quelque chose de plus grand encore. Au moment où les Juifs, armés de glaives et de bâtons, se disposaient à jeter les mains sur sa personne, il les frappa d’aveuglement : c’est ce qu’il indique lui-même par la question qu’il leur adresse. Qui cherchez-vous ? Comme Judas leur avait dit souvent : Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai ? (Mat. 26, 15), le Seigneur, voulant prouver aux Juifs et montrer à Judas, qu’il ira librement à la mort, que toute chose est à sa disposition et que la méchanceté